28/05/2023
Voici quelques années déjà que le Centre National du Théâtre et Hors-les-murs ont fusionné pour donner naissance à Artcena.
C'est une longue histoire dont j'ai eu le bonheur de connaitre les étapes, tout d'abord en écrivant en 1990 pour le ministère de la culture le premier projet du CNT, avec Michel Fournier, puis en proposant à la DGCA en 2012 la fusion des deux organismes pour bâtir un grand centre ressource du spectacle vivant.
Voici l'interview que j'ai donnée à New Tank Culture, telle qu'elle est parue en 2013.
Le Centre National du Théâtre est un des premiers centres ressources à avoir vu le jour dans le paysage très morcelé de la ressource en France, à une époque où les outils de communication et d’information étaient totalement différents. Le projet est né en 1991 et a été mis en place entre 1992 et 1993. Depuis, le paysage a totalement changé. D’une part, la cartographie professionnelle du théâtre a beaucoup évolué dans sa structuration, ses acteurs... L’implication grandissante des collectivités territoriales dans le financement de la culture et du théâtre en particulier a également joué. Esthétiquement, des formes artistiques qui n’étaient pas forcément les plus visibles à l’époque sont apparues. Il y a par exemple un retour à l’envie de troupe, qui existait beaucoup moins il y a vingt ans, et l’émergence des collectifs d’acteurs qui sont très importants.
Quels sont les grands axes de votre projet pour le CNT ?
Le CNT est un des premiers centres ressources à avoir vu le jour dans le paysage très morcelé de la ressource en France, à une époque où les outils de communication et d’information étaient totalement différents. Le projet est né en 1991 et a été mis en place entre 1992 et 1993. Depuis, le paysage a totalement changé. D’une part, la cartographie professionnelle du théâtre a beaucoup évolué dans sa structuration, ses acteurs... L’implication grandissante des collectivités territoriales dans le financement de la culture et du théâtre en particulier a également joué. Esthétiquement, des formes artistiques qui n’étaient pas forcément les plus visibles à l’époque sont apparues. Il y a par exemple un retour à l’envie de troupe, qui existait beaucoup moins il y a vingt ans, et l’émergence des collectifs d’acteurs qui sont très importants.
Vous faites, par exemple, référence aux collectifs pluridisciplinaires ?
Oui, même si le théâtre a toujours été un art qui croise les disciplines. Le transdisciplinaire, le dialogue entre les disciplines, ne sont pas nés avec l’apparition de la vidéo. Le théâtre grec était dans cette logique, le théâtre romain mêlait musique, pantomime, diction, Molière travaillait avec Lully, etc. Ce qui évolue, ce sont les périodes esthétiques au cours desquelles on affirme plus ou moins des modes d’écriture ou des langages. Les outils techniques évoluent aussi. Nous avons aujourd’hui des technologies scéniques qui n’existaient pas il y a quelques années, mais cela est vrai pour chaque époque. Par exemple, les projecteurs automatiques aujourd’hui permettent de créer sur un plateau de théâtre des effets qu’on ne pouvait pas voir il y a quinze ans. Et donc on écrit autrement l’espace.
Ce qui est également fondamental, c’est évidemment la mutation majeure sur le plan des technologies de la communication. Nous ne sommes plus en train de constater l'entrée dans l’ère numérique ; nous sommes déjà confrontés à son évolution : transition du web 2.0 vers le web 3.0, open data, mode collaboratif d’information, avec tous les enjeux d’exigence intellectuelle en termes de contenus qu’il faut développer en parallèle.
Nous sommes à un moment d’évolution des techniques donc d’évolution des pratiques pour délivrer l’information. L’immédiateté, la duplication de l’information, la réplication de la donnée, créent un contexte tellement différent de ce qu’il était au moment de la naissance du CnT qu’il y a pour nous un défi de modernisation de l’outil. Nous devons faire en sorte qu’il soit, dans sa conception, dans l’information qu’il gère, et dans sa capacité à la restituer, conforme aux modes d’approche de l’information qu’a le public aujourd’hui. C’est l’enjeu numéro un, l’axe prioritaire.
Comment comptez-vous procéder ?
Moderniser l’outil, cela veut dire disposer des outils techniques en interne répondant à cet objectif et être en capacité d’échange avec toutes les autres plateformes d’information, dont certaines n’ont pas forcément un rôle national mais qui contribuent à l’information nationale. Je pense à la société d’histoire du théâtre, à la BnF (Bibliothèque nationale de France), à la maison Jean-Vilar à Avignon, à la maison Antoine-Vitez hébergée dans nos murs, aux Archives du spectacle, etc. Il est du rôle d’un centre national d’être un carrefour d’informations. Nous n'avons pas vocation à rassembler toute l’information au sein même du CnT mais nous devons être capables de la mettre en réseau et de fédérer les initiatives.
Aujourd’hui si vous faites une requête, vous obtenez en premier lieu des réponses Google ou Wikipédia. Notre objectif n’est pas de les concurrencer, ce serait absurde. Nous devons déterminer à quel endroit nous apportons une valeur ajoutée. Cela constitue mon deuxième axe de travail : la dimension éditoriale. Il ne suffit pas de rassembler des données, il est indispensable de les prioriser, hiérarchiser, organiser, sélectionner et d’y apporter un commentaire. C’est tout l’enjeu pour nous. La ressource doit être en capacité de proposer du rédactionnel, que ce soit sur des approches thématiques d’ordre patrimonial ou documentaire (l’histoire du théâtre, de la décentralisation théâtrale, des esthétiques, la pédagogie théâtrale au XXe, etc), des questions d’actualité, une valorisation du travail des auteurs, ou encore les questions juridiques. Il faut arriver à construire une bonne dialectique entre la mise en place des outils que j’ai évoqués et cette dimension rédactionnelle. Nous ne devons pas travailler uniquement sur les « tuyaux » mais sur les contenus. C’est notre métier. L’important est l’adéquation entre les deux. Le conseil, l’accompagnement et l’orientation relèvent de la mission d’un centre ressources.
Le CnT est également un observatoire privilégié de la vie du secteur...
Le renforcement de l’observation du secteur théâtral est le troisième axe de mon projet. Le déficit d’observation du spectacle vivant est signalé depuis très longtemps. Le CnT est un des organismes à s'être déjà investi dans l’observation. Le ministère de la Culture et de la Communication mène une réflexion sur une plateforme de l’observation. Le projet de loi d’orientation sur la création artistique évoque ainsi un observatoire ayant pour mission d’éclairer les acteurs économiques, politiques et professionnels sur tous les secteurs de la création.
Il faudrait que nous soyons capables de présenter une sorte de photographie, hiérarchisée sur plusieurs plans, de ce qui constitue la vie du théâtre en France du point de vue sociologique, économique, artistique, etc. Il y a sans doute 20 à 30 chiffres clés à produire. Le CnT ne sera pas capable à lui seul d’apporter toutes les réponses mais il faut que la refonte de son système d’information intègre cette volonté d’observation. Si on essaye de délivrer à une profession, un public, des acteurs économiques ou politiques, des collectivités ou des mécènes, une idée de ce qu’est la vie du théâtre en France, (combien de spectacles, combien de spectateurs, combien d’artistes, comment s’exporte le théâtre français, qu’est-ce qu’on accueille, etc), nous ne sommes pas en mesure de rassembler rapidement des données en garantissant totalement leur fiabilité. Pouvoir fournir des données du type prix moyen du billet, cela participe à la fois de l’analyse d’un secteur et de sa communication.
Tout cela se construira en lien étroit avec le ministère. Si l’on prend pour exemple la parité et la place des femmes dans la vie du spectacle en France, il faudrait que nous soyons en mesure de renseigner cette question, de façon rapide et objective. Nous devons pouvoir être factuels dans un premier temps et, ensuite, nous pouvons réfléchir à apporter un commentaire. Je souhaite qu’il y ait, à terme, la publication d’un petit rapport annuel sur les chiffres-clés, sous une forme très simple. L’idée sera de disposer de quelques indicateurs donnant une photographie du secteur, d’être capable de les suivre dans le temps et donc de pouvoir dégager des tendances. Nous sommes au cœur de cette réflexion et nous devons la mener en coordination avec les autres centres ressources. La vie macro-économique du spectacle n’est pas organisée par tranches.
Comment imaginez-vous la vie du CnT en tant que lieu physique ?
C'est mon quatrième axe : la poursuite de tout ce qui, fort heureusement, n’est pas dématérialisable. La performance que nous visons en termes d’outils numériques doit nous dégager du temps, de l’espace, voire des moyens, pour tout ce qui n’existe que dans le rassemblement et dans la mise en œuvre de l’humain : l’accueil physique des personnes - qu’il faut maintenir-, les rencontres, le conseil aux professionnels ou les débats plus esthétiques.
Le Festival d’Avignon souhaite installer son antenne parisienne au CnT. Nos relations avec le Festival vont s’intensifier et la présence du CnT pendant le festival sera plus importante. Nous allons également travailler plus étroitement avec la Maison Jean-Vilar et tout le réseau des lieux qui soutiennent les écritures, comme par exemple La Chartreuse ou Théâtre Ouvert.
Je souhaite que ces rencontres d’information et débats théoriques conservent une forme de convivialité et que le CnT demeure un endroit de la parole partagée. Nous sommes en train de réfléchir à un programme de rencontres pour l’année à venir.
La mémoire du théâtre est-elle un axe de travail pour le CnT ?
C’est un énorme enjeu. Les premiers dépositaires de la mémoire du théâtre sont les gens de théâtre. Cette profession a peut-être une approche insuffisante des questions de préservation et de transmission de sa mémoire. C’est beaucoup plus facile à faire quand on travaille sur un objet artistique duplicable. Le théâtre est éphémère, volatile, cela rend le travail de mémoire plus compliqué et demande un effort accru.
N’est-ce pas aussi une question de culture ? Le secteur de la danse semble s’être davantage emparé de cette question.
Tous les arts dont l’expansion est récente (la danse contemporaine, le cirque contemporain, etc.) ont éprouvé le besoin identitaire d’affirmer qu’ils constituaient une œuvre, un répertoire et une mémoire. Le théâtre, assis sur un socle de plusieurs centaines d’années d’existence, n’éprouve pas cette même urgence. Nous devons faire partager la prise de conscience collective que le théâtre doit préserver et valoriser son patrimoine. Le CnT y prendra bien sûr sa part de responsabilité mais cela exigera des moyens dédiés à cette action.
Un accord a été mis en place entre l’Ina (Institut national de l'audiovisuel) et le CnT pour le site « En scènes » et nous poursuivrons les échanges. La mémoire ne doit pas se résumer aux spectacles, elle est également constituée des gens qui ont fait le théâtre et de l’histoire du théâtre. Beaucoup d’endroits cachent des trésors, plus ou moins accessibles. Le fonds de la Société d’histoire du théâtre, par exemple, dispose de mille mètres linéaires de documents hébergés par la Bnf, difficilement consultables. Dans tous les théâtres, il y a une mémoire. Mais recenser les archives ne suffit pas, il faut un appareillage critique pour les accompagner et les rendre accessibles. Nous avons besoin d’intellectuels et d’historiens, de gens qui observent le patrimoine, l’analysent, le mettent en perspective. Il ne suffit pas d’emmagasiner des captations ou des documents audiovisuels, photographiques, il faut un traitement éditorial. Il y a une différence entre ce qui est disponible et ce qui est accessible. Donner accès, c'est proposer un « regard sur », dégager des priorités. Nous devons travailler à donner un sens à cette matière disponible.
La question de la mémoire, du patrimoine fait aussi partie de l’éducation artistique à l’endroit des amateurs, des élèves ou des professionnels. Les conservatoires, par exemple, sont des lieux de mémoire et de patrimoine majeurs. Ce sont donc des partenaires naturels du CnT.
Et puis nous avons la volonté de réfléchir à des enjeux de sens. Il est important qu’il y ait des contributions de critiques, d’intellectuels, de chercheurs.
Le CnT a-t-il vocation à intervenir dans le domaine international ?
Il n’existe pas à l’heure actuelle, au CnT une tradition de travail sur l’international. Ce n’est pas une mission qui lui a été confiée au cours du temps. Cela constitue pourtant, selon moi, un axe de développement nécessaire pour le centre ressources. Les artistes portent cette dimension et n’ont pas attendu les institutions européennes pour travailler ensemble en Europe. Mais nous, nous sommes un peu en retard. Il est important que le CnT développe des relations avec les théâtres étrangers et avec ses équivalents, qui peuvent exister comme aux Pays-Bas ou en Finlande par exemple. Ils n'ont pas nécessairement le même format que le nôtre mais nous pouvons rencontrer des interlocuteurs dans beaucoup de pays.
Le secteur théâtral est concerné par le projet de loi d’orientation sur la création artistique en cours. En tant qu’expert du secteur, que pensez-vous de ce projet ?
Je suis favorable à ce qu’il y ait une loi pour la création, qui ne doit pas être uniquement une loi d’organisation mais affirmer un certain nombre de valeurs et de fonctions assumées par l’État alors qu’on aborde une nouvelle étape de la décentralisation. Cette loi peut être un outil, y compris dans la décentralisation, si le rôle de l’État y est clairement défini. Dans les valeurs que la loi doit affirmer, la question de la création est centrale.
Quel constat faites-vous sur la situation des compagnies indépendantes dont la précarisation semble croissante ?
C’est une réalité. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir qu’il y a une vraie difficulté professionnelle, notamment en termes de production. Quand on regarde comment fonctionne le système, on constate un déséquilibre entre la production et la diffusion. Le secteur qui vit de façon la plus violente la crise c’est celui de la production, de l’institution jusqu’aux compagnies, mais c’est évidemment beaucoup plus dur pour les compagnies. Elles sont plus en difficulté qu’elles ne l’étaient. C’est de la stricte observation.
Du point de vue du CnT, ce qui m’intéresse est d’opérer une synthèse et de se demander, une fois que l’on a établi ce constat économique, quelles en sont les conséquences esthétiques. Quelles sont les conséquences sur les pratiques de production ? Le mouvement des collectifs est intéressant de ce point de vue. On ne peut pas dissocier la façon pratique et esthétique de faire du théâtre de son économie, je suis convaincu de cela. On ne peut pas dissocier l’aventure d’Ariane Mnouchkine de la façon dont elle a conduit son projet et donc son entreprise. C’est intimement lié. On ne crée pas un spectacle de la même façon si l’on vit dans une grande institution allemande, un théâtre national à Paris, un centre dramatique de petit format ou simplement en compagnie. Un spectacle raconte toujours des choses sur la façon dont on l’a construit. Certains artistes montent encore des productions ambitieuses, avec des distributions importantes comme "La bonne âme de Se-Tchouan" aux Ateliers Berthier mis en scène par Jean Bellorini ou le prochain travail de Sylvain Creuzevault sur "Le Capital" de Marx. Leurs démarches sont passionnantes car elles illustrent un refus d’être surdéterminés par les conditions actuelles de production et une volonté de vérifier que l’on peut travailler autrement, chercher d’autres voies. Le premier problème à traiter est celui de la production.
Quels pourraient-être les leviers d'intervention ?
Le CnT gère la commission nationale d’aide à l’écriture. Ce n’est pas une commission du CnT mais une commission nationale gérée par le CnT sur des crédits d’État. Notre rôle est d’accompagner mieux les auteurs et de faire en sorte que les textes primés soient davantage montés, plus en lien avec les metteurs en scène actuels et plus longtemps joués. Un texte de théâtre n’existe vraiment que lorsqu’il est joué. Cette dimension de notre travail est une contribution à la réflexion générale sur les conditions de paupérisation de la production. Elle concerne toutes les strates et a des conséquences sur la réactivité et la capacité à monter des spectacles avec une certaine immédiateté.
La volonté du ministère de la Culture et de la Communication de favoriser les séries de représentation peut-elle constituer une réponse aux difficultés que rencontrent les compagnies ?
Se préoccuper du nombre de série de représentations faites par spectacle et dans chaque lieu est important, bien sûr. C’est une réponse, parmi beaucoup d’autres possibles. Encore une fois, ma conviction est qu’on ne règle pas la question uniquement par la diffusion. Diffusion et production sont étroitement liées mais vous ne régulez pas le système uniquement en travaillant sur la distribution. Il faut travailler sur les modes et les conditions de production. Il s’agit d’un sujet éminemment sensible car il pose des questions sur la nature, la quantité, l’évaluation de ce qui est produit. Ce sont des questions délicates mais c’est là qu’il faudrait prendre des décisions majeures.
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